Biographie de Montesquieu (1689-1755)
(Cette biographie a été rédigée par Antoine Auvé).
Montesquieu, de son vrai nom Charles-Louis de Secondat, est né au château de la Brède le 18 janvier 1689. Il appartient à la noblesse de robe. Après une première formation au collège de Juilly, puis au collège d’Harcourt à Paris, Montesquieu se lance dans des études de droit. Il devient conseiller en 1714, avant de devenir deux années plus tard président à mortier au Parlement de Guyenne, suite à la mort de son oncle. Entre temps, en 1715, son mariage avec une protestante lui apporte une dot importante.
Mais le jeune Montesquieu a peu de goût pour sa fonction : il « n’y entendai[t] rien ». Il s’oriente alors vers la science et entre à l’Académie des Sciences de Bordeaux en 1716. Il mène des expériences dans plusieurs domaines, et rédige divers écrits qui rendent compte de ses travaux.
En 1721, il publie anonymement les Lettres persanes à Amsterdam. Montesquieu est démasqué ; mais ce petit ouvrage, loin de mettre son auteur dans une situation délicate, le rend automatiquement célèbre ; il est perçu comme un bel esprit. Montesquieu se voit de ce fait ouvrir l’accès aux salons parisiens : il devient notamment un habitué des salons de Mme de Lambert, de Mme de Tencin, puis de Mme du Deffand. Il séjournera à Paris pendant sept ans, de 1721 à 1728, année où il est élu à l’Académie française.
L’écrivain se lance alors dans une longue série de voyages qui dureront plusieurs années. Il sillonne toute l’Europe, en passant par l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre. C’est dans le pays de Shakespeare, où il séjourne plus d’un an, que Montesquieu se voit initié à la franc-maçonnerie. Mais ces voyages sont également le moyen, pour le philosophe qu’il est, d’observer la politique, l’économie, les mœurs et les coutumes des pays qu’il visite. Ce long voyage à travers l’Europe trouve son aboutissement en 1734, lorsque Montesquieu est de retour à la Brède, dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Mais il a aussi en main les éléments qui lui permettent de dresser le chantier de l’Esprit des Lois. C’est en 1748 que sera publié cet ouvrage majeur, qui, comme le précédent, réunit histoire et politique. Montesquieu est néanmoins fatigué, notamment à cause de son âge (il a 59 ans) et de sa vue : il est devenu presque aveugle. Cela ne l’empêche pas d’écrire en 1750 la Défense de l’Esprit des Lois. Il travaillera jusqu’au bout, pour l’amour du « Genre humain » et de Dieu, à qui il « consacre cet amour » : il y a loin du jeune Montesquieu sceptique des Lettres persanes au philanthrope accompli. Il s’éteint le 10 février 1755, à Paris, âgé de 66 ans.
L’œuvre de Montesquieu :
C’est principalement aux Lettres persanes et à l’Esprit des Lois que Montesquieu doit sa gloire, autant auprès de la postérité que de son vivant.
Le premier ouvrage est un court roman épistolaire. Montesquieu y fait la satire amusée de la France de l’époque à travers un cadre exotique : les protagonistes, Usbek et Rica, sont persans. L’oriental était déjà à la mode, notamment grâce à la traduction d’Antoine Galland des Mille et une Nuits. Mais l’exotisme, parfois l’érotisme de l’œuvre, font en fait écran à des critiques incisives contre les contemporains de l’auteur. Nombre d’usages de la société apparaissent comme ridicules (cf. : « Le ridicule jeté à propos a une grande puissance », Cahiers). Montesquieu y critique même le roi et le pape. Mais il se montre aussi sociologue, et ce petit ouvrage contient déjà certaines théories qui aboutiront à l’Esprit des Lois, comme celle des trois gouvernements par exemple (lettre 89). Ainsi, l’écrivain est moraliste, mais il est aussi penseur. La satire des mœurs maquillée à l’orientale sera un procédé repris par d’autres philosophes des Lumières, à commencer par Voltaire, mais n’est pas sans rappeler La Fontaine. Dans ce roman, Montesquieu utilise la lettre à des fins satiriques : la légèreté de la correspondance et le fait que la critique ne semble engager que la parole d’un étranger font illusion ; la lettre devient narrative, et n’est pas le « portrait de l’âme ».
Dans l’Esprit des Lois, Montesquieu entend mettre en lumière qu’il y a un ordre dans l’enchevêtrement complexe des lois de chaque pays. « Ce n’est point le corps des lois que je cherche, mais leur âme », écrit-il. Toute loi a une âme, et cet ouvrage n’est pas simplement de « l’esprit sur les lois », contrairement au mot piquant de Mme du Deffand. Montesquieu procède de façon scientifique : il prend en compte le climat, la nature de la politique, élimine les interventions de la Providence. Aussi Montesquieu manifeste-t-il de l’intérêt pour la géographie et l’histoire en général. C’est dans cet ouvrage qu’il expose la théorie de la séparation des pouvoirs. Cet ouvrage est un des plus importants en matière de science politique ; Montesquieu nous y présente ses déductions comme vraies quels que soient l’époque et le pays considérés.
Dans une moindre mesure, Montesquieu est célèbre pour ses Considérations sur les Romains qui étaient à la base un chapitre de l’Esprit, mais qui ayant pris une trop grande ampleur furent publiées séparément. L’intérêt est autant historique (on y voit l’étendue des connaissances de Montesquieu sur la Rome antique) que philosophique : cet ouvrage contient un des fondements de l’Esprit : « Ce n’est pas la fortune qui domine le monde… Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent ou la précipitent ». Les Cahiers, quant à eux, nous fournissent des informations précieuses sur le caractère du philosophe. Montesquieu écrivit aussi des ouvrages à caractère licencieux (Le Temple de Gnide).
Enfin, Montesquieu possède un style propre. Il attache une importance à l’expression, à sa force ; il la veut frappante, et lisait souvent ses phrases à ses gens pour juger de leur effet. Que ce soit pour les saillies des Lettres persanes, ou pour la clarté impeccable de l’Esprit, la pensée est toujours mise en valeur. D’où Flaubert, qui lui aussi attachait beaucoup d’importance à la force de la phrase (comme le montre son usage du « gueuloir »), présentant « la cadence à la Montesquieu » comme un modèle.
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