Biographie d'Arthur RIMBAUD1854-1891
L'enfant prodige (1854-1870)
Né à Charleville le 20/10/1854, Arthur Rimbaud, de bonne heure, se révolte contre la tyrannie d'une mère inflexible et s'abandonne à la séduction de rêves lointains; il marque sa rancune d'enfant incompris par de terribles colères et par des escapades. Sa vocation poétique s'éveille, au collège, pendant l'année de rhétorique; et son professeur Georges Izambard l'encourage par une enthousiaste sympathie. D'emblée, Rimbaud a découvert tous les secrets de l'art; il imite en virtuose Hugo ou les Parnassiens. Déjà, cependant, il obéit à une inspiration très personnelle il traduit dans Sensation, dans Ma Bohème, le bonheur sensuel dont il a joui au cours de ses promenades errantes ; il révèle avec humour, dans Roman, ses premiers émois sentimentaux; il atteste, dans Bal des Pendus, la puissance de son imagination visionnaire; et il exhale son horreur native pour la vie mesquine' en cinglant de son ironie cruelle la petite bourgeoisie de CharlevilleLe révolté (1870-1871)
Les impatiences de l'adolescent prennent bientôt la forme d'une haine vivace pour le conformisme social. Après la déclaration de guerre à la Prusse, Rimbaud renonce à passer le baccalauréat, vend ses livres de prix, gagne Paris, se fait arrêter pour avoir voyagé sans billet, est interné quelque temps à la prison de Mazas, puis va chercher fortune en Belgique. Revenu à Charleville en janvier 1871, il ronge son frein. Bientôt, il repart pour Paris où, faute d'argent, il ne peut demeurer plus de quinze jours. Abîmé d'ennui dans sa province, il a pour les insurgés de la Commune une pensée fraternelle : « Les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, où tant de travailleurs meurent... » La plupart des poèmes qu'il compose du mois de septembre 1870 au mois de mai 1871 portent la trace de sa révolte. Il proclame son mépris pour l'Empereur (Rages de César); il plaint les victimes de la guerre (Le Dormeur du val); il peint la détresse de cinq petits pauvres qui se réchauffent, devant un soupirail, au four du boulanger (Les Effarés). En regardant les fonctionnaires de la bibliothèque municipale, à Charleville, l'idée lui vient de flétrir ces éternels « assis ». Tandis que se précipitent les événements, il incline vers une sorte de nihilisme sentimental et intellectuel; il maudit la religion chrétienne (Les Pauvres à l'église, Les Premières Communions, Le Mal); puis, quand « Paris se repeuple » après la défaite, il décrit l'impureté de la grande ville avec des accents d'une violence extrême. Dans la société moderne, il ne voit que des motifs de fureur.Le bateau ivre (1871), Rimbaud a 17 ans
Mais le poète trouve dans son génie les ressources nécessaires pour échapper au désespoir. Comme Baudelaire, il aspire aux révélations d'un monde inconnu; il part en rêve à la découverte de ce monde. Déjà, dans Le Bateau ivre, il décrit symboliquement cette audacieuse équipée. Ce chaland qui vogue parmi des paysages vierges, c'est Rimbaud lui-même, qui enfante en tumulte, dans un délire fécond, les reliefs, les couleurs et les formes d'un nouvel univers. Il discerne, pourtant, la fragilité de ce songe féerique : l'éblouissement des «nuits sans fond» est bientôt dissipé à l'apparition des « aubes navrantes », et. le bateau dégrisé, mais incapable, désormais, de suivre le sillage routinier des autres chalands, aspire à s'engloutir.Le voyant (1871-1872)
Le bateau ivre marque un tournant dans la vie de Rimbaud. Un autre poète, Verlaine, enthousiasmé par ces strophes ardentes, le presse de venir le rejoindre « On vous espère, on vous attend. » Rimbaud répond à cette invitation et habite avec Verlaine, d'abord à Paris, puis en Belgique et en Angleterre. Pendant cette période tourmentée de son existence, il renouvelle sa vision poétique par des expériences hardies : fidèle à un programme qu'il s'est tracé quelques mois plustôt, il «travaille à se rendre voyant», cultive le délire sous toutes ses formes, compose des poèmes étranges (Voyelles, Larme, Patience, Mémoire, La Rivière de cassis), rythme des chansons «faussement naïves » (Chanson de la plus haute tour, Bonheur, Fêtes de la faim); mais il compromet sa santé par l'alcoolisme et par la débauche.
Une saison en enfer (1873)
En décembre 1872, Rimbaud abandonne Verlaine et rentre de Londres. Il retourne quelque temps, en janvier 1873, au chevet de son ami malade, puis va retrouver sa famille dans la propriété de Roche, près de Vouziers, et entame une sorte d'autobiographie en prose poétique. En mai, il rejoint de nouveau Verlaine qui, le 20 juillet, à Bruxelles, sous l'empire de l'alcool, tire sur lui deux coups de revolver. Définitivement las et écoeuré, Rimbaud achève, à Roche, l'oeuvre entreprise et l'intitule Une Saison en enfer. C'est un témoignage à la fois sur l'existence maudite qu'il a menée et sur les possibilités d'avenir qu'il voit s'ouvrir devant lui au terme de cette crise. Quelques amis seulement ont reçu un exemplaire de cette précieuse confession lyrique, dont le tirage, impayé, est resté presque tout entier chez l'imprimeur.Souvenirs d'enfer. L'enfer, ce sont les impuretés et les illusions de la « saison » passée avec Verlaine. Le poète est déçu par son art; l'homme est honteux de ses fautes. Rimbaud s'accuse de s'être abandonné à des chimères poétiques : « J'écri¬vais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges... Je m'habituai à l'hallucination simple : je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac; les monstres, les mystères; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. Puis j'expliquai mes sophismes magiques avec l'hallucination des mots. Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. » (Délires II). Il dénonce aussi, avec une ironie violente, son mépris de la morale, son horreur de tout métier, son goût de la révolte, du vice, du crime (Mauvais Sang); et il imagine les affres des tortures infernales : «Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. « C'est l'enfer, l'éternelle peine! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon! » (Nuit de l'enfer.)
Résolutions d'avenir. Désormais, Rimbaud a des élans vers l'Idéal. Il exalte la charité (Pièce liminaire), la pureté (L'Impossible); il déclare qu'il sait maintenant « saluer la Beauté » (Délires II); il célèbre « les Rois de la vie, les trois Mages, le coeur, l'âme, l'esprit » (Matin). Rationnelle ou mystique, il a conquis une certitude; il n'éprouve plus le besoin de prendre, comme autrefois, une « expression bouffonne et égarée au possible » pour chanter le Bonheur et l'Éternité : « Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler » (Matin). Du moins est-il résolu désormais à agir, à reconquérir un équilibre grâce à la sainteté du travail. Le rêve ambitieux doit s'effacer pour laisser la place au silencieux héroïsme des tâches quotidiennes « J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre! Paysan! » (Adieu)
Illuminations (1872-1874 ?)
La vie littéraire de Rimbaud ne s'achève pas, comme on l'a cru longtemps, sur cet « adieu » qu'il lançait à la fin d'Une Saison en enfer : à Londres, en 1874, il met au net une autre œuvre en prose poétique, formée de morceaux distincts, qui ont été réunis sous le titre « illuminations ». Nous sommes mal renseignés sur les circonstances dans lesquelles ces pièces ont été composées. Les Illuminations, en tout cas, nous apparaissent comme une nouvelle tentative du poète pour « fixer des vertiges » et pour réaliser ses ambitions de voyant.La création d'un univers. Rimbaud prend le mot « illuminations » dans son sens anglais d' « enluminures ». Mais cet enlumineur est un illuminé. Ce qu'il voit, il le transfigure; et ce qu'il ne voit pas, il le crée. Quelques-uns de ces poèmes sem¬blent, dans leur précision concrète, des transpositions verbales d'images emprun¬tées au monde réel. « Gracieux fils de Pan ! Autour de ton front couronné de fleurettes et de baies, tes yeux, des boules précieuses, remuent. Tachées de lie brune, tes joues se creusent. Tes crocs luisent. Ta poitrine ressemble à une cithare, des tintements circulent dans tes bras blonds » (Antique). D'autres, dans leur éclat féerique, sont de véritables hallucinations : « D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures » (Fleurs). Le poète prend possession d'un univers où il se meut avec une liberté enivrante : « J'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d'or d'étoile à étoile; et je danse » (Phrases).
La création d'un langage. Rimbaud, dans les Illuminations, invente un lan¬gage poétique sans commune mesure avec le langage ordinaire. Cet effet constant de nouveauté est créé, tantôt par des images insolites : « Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques » (Barbare); tantôt par des rythmes insaisissables. Même quand l'esprit est déconcerté par la fulgurance des visions transcrites, ces poèmes exercent sur la sensibilité et sur l'imagination, par la splendeur du vocabulaire, par la tension de la forme, un prestige envoûtant.
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