Introduction
Splenn LXXVIII, de Charles Baudelaire (recueil Les Fleurs du mal, section "Spleen et idéal"), est le dernier des quatre Spleen et peut-être le plus terrible, le plus angoissant, délirant, dément.
LXXVIII - Spleen
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Plan de l'analyse linéaire
I. La montée de la crise - Vers 1 à 12
1. Une atmosphère macabre
2. Une lente progression vers l'inexorable
3. Une défaite prévisible
4. L'image de l'enfermement
2. Une lente progression vers l'inexorable
3. Une défaite prévisible
4. L'image de l'enfermement
II. Le paroxysme de la crise et la défaite de l'esprit en proie au spleen - Vers 13 à 20
1. Les hallucinations sonores - Vers 13 à 16
2. Dès lors la défaite de l'esprit est consommée - Vers 17 à 20
2. Dès lors la défaite de l'esprit est consommée - Vers 17 à 20
Analyse linéaire
I. La montée de la crise - Vers 1 à 121. Une atmosphère macabre
- Dès le vers 1, le climat est pesant, avec le champ lexical de l'écrasement ("bas", "lourd", "pèse", "couvercle"), un accent irrégulier tombe sur "pèse".- Les impressions que ressent la victime du spleen sont pesantes, douloureuses, de plus en plus malsaines et de plus en plus inquiétantes.
- Le climat est douloureux (vers 1-16) => les sonorités dominantes sont douloureuses, nasales en "en", sifflantes en "s", l'assonance en "i" est très souvent à la rime, comme dans les vers 2 et 4. L'ensemble ramène à "l'esprit gémissant" (vers 2).
- Le climat est de plus en plus malsain : "jour noir" (vers 4) oxymore inquiétante ; la nuit est pire, la terre devient un "cachot humide" (vers 5), l'eau se fait pourriture.
2. Une lente progression vers l'inexorable
- Les quatre premiers quatrains développent une seule phrase qui progresse avec trois subordonnées (3 quand) et aboutit à un paroxysme dans la proposition principale.- L'anaphore, avec le mot "quand", répété au début des 3 premiers quatrains, rythme cette progression.
- Par ailleurs, les coordinations "et qu" (vers 3 et 11), les enjambements continuels, tout cela donne l'impression d'un mouvement lent et enchaîné inexorablement.
- Le climat est de plus en plus menaçant, le poète est hanté par des présences menaçantes, "peuple muet d'infâmes araignées" (vers 11) => son cerveau n'est plus qu'une toile d'araignée.
3. Une défaite prévisible
- "L'Espérance" (vers 6) avec une majuscule est une allégorie (= notion abstraite personnifiée) dévalorise l'anéantissement.- L'Espérance est déjà condamnée, puisqu'elle "s'en va" (vers 7), avant que la crise n'ait atteint son paroxysme.
4. L'image de l'enfermement
- Le ciel est un couvercle qui enferme l'esprit à la manière d'un cercle.
- Champ lexical de l'enfermenet (vers 10 à 12) : "prison", "barreaux", "filets".
- La pluie du vers 9 dessine une immense prison, vaste (vers 10) mais extérieure.
- La prison finit par s'installer à l'intérieur de l'homme (vers 12 et 13 : "au fond de nos cerveaux"). De physique, la prison devient psychique ; filet dans le cerveau => délire intérieur.
=> Tous ces éléments de plus en plus inquiétants permettent une montée de la crise avant son paroxysme et la défaite finale de l'esprit.
II. Le paroxysme de la crise et la défaite de l'esprit en proie au spleen - Vers 13 à 20
1. Les hallucinations sonores - Vers 13 à 16
- Au vers 13, "tout à coup" montre une rupture, la crise est là désormais .
- Le paroxysme de la crise se manifeste par des hallucinations sonores, plus violentes, car elle vient après la menace sourde des mouches : sonorités violentes en "que" et en "te" (vers 13-14).
- Les cloches lancent un appel vers le ciel, un "hurlement" (vers 14). Cet appel au ciel est opiniâtre (= obstiné), c'est un gémissement d'esprit condamné à l'exil, les cloches implorent le ciel de demander pardon. - L'assonance en "an", très présente dans le poème comme au vers 17, 18 et 19, imitent un gémissement.
2. Dès lors la défaite de l'esprit est consommée - Vers 17 à 20
- Après les hallucinations sonores, il y a les hallucinations visuelles, "sans tambours ni musique" (vers 17). La défaite s'exprime à travers la vision d'un convoi funéraire interminable marqué par un rythme régulier et solennel.- L'enjambement des vers 17 et 18 étire la vision du défilé, de la défaite de l'esprit, l'angoisse a pris possession de l'esprit en plantant son drapeau noir.
- L'espoir (vers 17) est en contre rejet, l'espoir est hors-jeu.
- Le drapeau noir du vers 20 symbolise soit le drap noir du corbillard, soit le drapeau de pirate. Ce "drapeau noir" qui clôt le poème, montre que le poète a perdu tout espoir.
Conclusion
Spleen LXXVIII est un poème dramatique qui dépeint la montée de la crise (vers 1 à 12), puis son paroxysme (vers 13 à 16) et la défaite finale (vers 17 à 20), le tout de manière de plus en plus malsaine, démente.Ici le spleen s'exprime à trois niveaux :
- le mauvais temps,
- moral et psychologique,
- métaphysique (strophe quatre).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire