Théâtre classique / Théâtre contemporain
Si sa définition a bougé depuis le XVIIème siècle, le théâtre dit classique nous provient de cette époque où les tragédies étaient régies par la fameuse règle des trois unités : en un jour (unité de temps), en un lieu (unité de lieu), un seul fait (unité d’action). Concernant l’unité de temps, l’idéal était que le temps de l’action scénique soit équivalent à la durée de la représentation. D’après Aristote, qui dans sa Poétique a théorisé les notions d’imitation, d’épopée et de tragédie, l’action doit se dérouler en un jour et ne pas dépasser une « révolution de soleil ». Selon l’unité de lieu, toute l’action doit se dérouler dans un même espace, par exemple l’une des salles d’un palais, justifiant le décor unique du plateau. Selon l’unité d’action, l’ensemble de la pièce doit tourner autour d’une intrigue principale et ne pas se perdre en digressions. Chaque scène se doit d’être un élément nécessaire à la compréhension de la pièce, et tous les évènements, de l’exposition jusqu’au dénouement, doivent être intimement liés par une nécessité narrative. Ces règles ont été pensées dans le but d’augmenter la vraisemblance de l’histoire racontée et, partant, l’efficacité de la pièce sur le spectateur. Elles visaient aussi à ne pas déconcentrer le public avec un trop plein d’informations à retenir, à resserrer son attention sur l’intrigue essentielle. Une autre obligation à respecter pour les dramaturges de l’époque, en vertu de la morale, était la règle de bienséance, bannissant du plateau toute scène de violence quelle qu’elle soit et toute nudité. Exit batailles et duels, la mort n’est pas autorisée à se montrer. En revanche, elle peut se raconter sous la forme de récits qui s’expriment en monologues imagés aux descriptions fourmillantes de détails afin que le spectateur puisse se représenter mentalement l’évènement tragique.
De nos jours, bien entendu, ces règles ne sont plus d’actualité et apparaissent singulièrement désuètes tant les enjeux de la représentation ont changé. En effet, la question de la vraisemblance ne régit plus l’écriture dramatique ni la représentation théâtrale et le souci de ne pas choquer le public n’a plus de raison d’être. Au contraire. Le théâtre se vit de plus en plus comme une expérience émotionnelle, intellectuelle, artistique, qui émeut, remue, secoue, trouble, bouleverse et ébranle le spectateur à différents niveaux, réveille des prises de conscience fortes et parfois même indigne et scandalise. Ainsi, la notion de classicisme s’est considérablement déplacée. On entend donc à l’heure actuelle autre chose derrière la terminologie de « théâtre classique ». Il s’agit en fait d’un certain type de théâtre où la mise en scène se traduit par une propension à des scénographies réalistes (reproduisant, par exemple, bien souvent, un intérieur bourgeois, salon, terrasse ou salle à manger), un jeu d’acteur codifié, encore très influencé par la déclamation et l’adaptation sage et respectueuse de pièces en bonne et due forme. C’est un type de théâtre qui ne fait pas de vague et se soumet encore à certains critères de représentation, notamment le quatrième mur (les comédiens jouant en faisant « comme si » le public n’était pas là, ce qui est une des conventions classiques). Stéphane Braunschweig, Alain Françon, Jean-Louis Martinelli appartiennent, pourrait-on dire, à cette « école » du classicisme qui est en fait avant tout au service du texte dramatique et du répertoire.
Par opposition à cette catégorie de théâtre dit « classique » qui correspond d’une certaine manière à ce qu’on appelle « théâtre de texte », le théâtre contemporain est synonyme d’expérimentations scéniques sur la forme autant que sur le fond. Il rompt avec un certain type de jeu (parfois trop ampoulé), brise régulièrement le quatrième mur, pratique le mix des disciplines et des références (populaires ou érudites), cherche et propose de nouvelles manières d’envisager l’acte théâtral et repense même le statut et la place du spectateur. Il peut même arriver que, de façon assumée, les lumières de la salle restent allumées et que le public ne soit pas plongé dans le noir comme de coutume. A priori, le théâtre contemporain se situe du côté de la recherche, du mouvement, des tentatives et des prises de risque. Il propose, explore, explose les cadres et conventions historiques, il essaie. Il s’aventure en terrain inconnu. Sa forme n’est pas systématiquement figée. La représentation peut rester à l’état de « work in progress » parfois, d’étape de travail soumise à l’appréciation du public. Ou bien elle peut ne pas laisser la plus petite place au hasard et être réglée comme du papier à musique, partition écrite jusque dans ses moindres détails, rythme, timing, intonations. De plus en plus aussi, le théâtre contemporain fait appel aux technologies qui nous entourent, dans des dispositifs où sons et images sont travaillés comme des matières tangibles, où les caméras s’invitent sur le plateau pour générer des images en direct. La vidéo est, quant à elle, monnaie courante, devenue un élément scénographique majeur. Et les micros s’utilisent de plus en plus, invisibles ou affichés.
Ainsi, de quelque manière que ce soit, le théâtre contemporain n’hésite pas à déstabiliser le public, à bousculer ses habitudes bien ancrées et sa position confortable, l’impliquant d’avantage, ouvrant des perspectives inédites, des horizons nouveaux, révélant d’autres façons de « faire théâtre ». Il va jusqu’à la transgression s’il le faut pour exprimer un point de vue, une idée, engager une réflexion, une prise de conscience, de la scène à la salle. Il se pose en regard de son époque, et tente de la questionner, de la refléter, depuis sa forme même jusqu’au discours déployé
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