EXPLICATION D’UN COURANT LITTÉRAIRE: LE DÉCADENTISME - Français

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lundi 30 décembre 2019

EXPLICATION D’UN COURANT LITTÉRAIRE: LE DÉCADENTISME




Ça, c’est décadent en estie, boire du thé évaché de même.
Un peu de contexte
Comme pour tout mouvement littéraire, mais encore plus particulièrement pour le mouvement décadent dont il est ici question, il est difficile de mettre une date de début ou une date de fin, puisque nous parlons de sentiment général d’une époque, de mood collectif, même, et qu’il y a toujours des précurseurs qui se trouvent ben drôle d’annoncer les thèmes du mouvement (nous te regardons, Baudelaire) avant tout le monde et des retardataires qui remuent les bras en criant: « MOI AUSSI!!! » dix ans trop tard.  (Nous n’avons personne en particulier en tête, neuf fois sur dix, les retardataires sont des perdants finis dont personne ne se souvient parce que, bon, t’as manqué ta chance de gloire, el’gros).
Bref.
Le décadentisme ou le mouvement décadent prend racine vers la fin du 19e siècle, en France. Paris vient de capituler face à la Prusse, la Commune de Paris a été massacrée, la grandeur française semble belle et bien chose du passée. Entendons-nous, les pauvres français viennent de connaître deux révolutions, trois républiques, un retour de la monarchie, deux Napoléons différents. (Napoléon II est mort à 21 ans sans vraiment avoir régné, nous rappelant qu’il est toujours difficile de succéder à un parent populaire dans son domaine, n’est-ce pas Pascalin?) Tout ça en moins de 100 ans. Chez Littéraire déchu, nous ressentons un malaise et un mal de vivre lorsque nous sommes confrontés à deux élections dans l’espace de trois ans, alors c’est dire notre compréhension de ces artistes qui, devant ces événements, ont le goût de dire: fuck toute.
Attention!
Le décadentisme n’est pas un mouvement tout à fait clair, par rapport au Naturalisme, au Symbolisme ou au Réalisme, par exemple. Nous parlons plutôt d’un sentiment qui vient hanter les textes, d’un regard sur la vie, d’un état d’esprit plutôt que d’une structure ou une forme. Tout au plus, nous retrouverons des thèmes communs et certaines figures se dégagerons du lot pour devenir emblématique. Un exemple moderne serait celui du Hipster. Personne ne saurait en donner une définition claire, personne ne saurait même identifier ce qui, formellement, fait d’une personne un hipster. Est-ce la moustache? Est-ce l’ironie? Est-ce l’odeur de friperie? Est-ce que le sexe awkward et les pleurs qui s’en suivent? Mais promenez-vous dans le Mile-End et vous saurez, viscéralement, ça vous prendra au coeur, à la gorge, ça vous tourmentera l’esprit, mais vous saurez quand vous serez face à face à un Hipster. Le décadentisme, c’est pareil. Surtout pour le sexe awkward. Passons.
Des thèmes?
Les décadents sont un peu les emos des courants littéraires. Nous parlons ici de thématiques pessimistes, d’un certain dégoût de l’avenir, d’un besoin de provoquer. On parle d’une génération d’écrivains horrifiée par le banal, écœurée par le naturalisme et ses descriptions sans fin, on parle d’une génération animée par le spleen Baudelairien, que l’on imagine, avachie sur son divan, râler et se plaindre que c’est la fin du monde, en train de fumer de l’opium et de boire de l’absinthe. Car devant la désillusion, oui, le meilleur moyen de survivre est bien évidemment la fuite, chez les décadentistes (à ne pas confondre avec « un dentiste à dix côtés ») – pour se faire, ils proposeront un art littéraire (car, euh, oui, nous parlons bien de littérature depuis tout à l’heure) animé par l’artifice, par des percées de mysticisme, par des envolées lyriques, par une recherche du sublime (sans tomber dans le Parnasse) et autres mécanismes qui l’éloigneront des Naturalistes auxquels ils réagissent violemment.

« Fuck toi, fuck tes mines, fuck tes descriptions des trains pis du monde qui meurent, Zola, t’es déprimant en sacrament. » – Les décadents, en réaction au Naturalisme de Zola.

Des précurseurs?
Baudelaire est souvent pointé du doigt comme étant un des précurseurs du décadentisme, mais l’histoire littéraire lui a majoritairement donné le rôle de pré-symboliste. La littérature n’étant cependant pas une science exacte (ni même une science, point, quoique en dise mon professeur d’introduction aux études littéraires), le décadentisme serait lui-même un précurseur du symbolisme, donnant ainsi à Baudelaire le rôle incestueux de père du décadentisme et grand-père du symbolisme (nous tournons les coins ronds, si vous prenez le diamètre de notre phrase en rapport avec la circonférence de notre texte, ça vous donnerais Pi, c’est dire à quel point c’est rond).  Rappelez-vous cependant qu’un peu d’inceste n’aura jamais tué personne en littérature, vous n’avez qu’à arpenter les corridors des facultés de lettre pour vous en rendre compte. (hipelaye)
Un écrivain emblématique
Huysmans_banc
Joris-Karl Huysmans ou le gars que notre anus se serre instinctivement à la vue de cette photo…
Joris-Karl Huysmans était destiné à passer à l’histoire comme étant l’un des grands noms du Naturalisme, au même titre que Zola. On parle tout de même d’un homme qui se lie d’amitié au bon Émile, qui publie des articles faisant la promotion du Naturalisme, qui publie des romans d’histoires de prostitution dans les bas fonds de Paris tout  en décrivant pendant de très longues pages des édifices, pierre par pierre. On ne fait pas plus Naturaliste. Puis, avec À rebours en 1884 et Là-bas en 1891, Huysmans créé (surtout avec son personnage de Des Esseintes), ce qui deviendra la figure emblématique du décadent parfait: le dandy.
En effet, Des Esseintes, anti-héros d’À rebours, représente parfaitement ce qu’est le poète décadent. C’est un homme oisif, vain et paresseux, qui se retire d’un monde ennuyant auquel il ne se sent plus appartenir pour méditer et réfléchir à propos de l’art, de la littérature. Pour se faire, il s’entoure de livres, d’œuvres d’art, et les trouve toutes plus moches les unes que les autres, sauf pour quelques élus, dont un petit livre jaune (probablement Le portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde). Les passe-temps de Des Esseintes comprennent la fabrication de poisons, l’extraction de parfum et l’incrustation de pierres précieuses dans la carapace d’une tortue. Fort de cette description (oisif, snob, entouré de vielles oeuvres d’art, retiré du monde, hobbys bizarres), vous pourriez à nouveau être tenté de croire que Des Esseintes est un hipster. Ce n’est pas faux, mais pas tout à fait vrai non plus. Non, Des Esseintes représente plutôt l’archétype de la figure emblématique des décadents: le dandy.
Le Dandy
« Le dandysme est un soleil couchant; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie. Mais, hélas! la marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour à jour ces derniers représentants de l’orgueil humain et verse des flots d’oubli sur les traces de ces prodigieux myrmidons. » – Charles Baudelaire
Suite à une discussion avec notre ego, nous avons décidé de ne rien ajouter à cette description du Dandy par Baudelaire, toutes nos excuses. Notez toutefois que cette description du « dandysme » s’accorde assez bien avec celle du décadentisme.
Robert de Montesquiou, le modèle parfait
Nous pourrions parler de Robert de Montesquiou comme étant l’inspiration certaine de Des Esseintes (À rebours) et du Baron de Charlus (À la recherche du temps perdu). Nous pourrions vous  dire que ce cher Bob a été tout au long de sa vie un avatar du dandysme grâce à son amour des arts (Mallarmé et Verlaine, entre autre, faisaient partie de son cercle, et Marcel Proust le suivait comme un chien de poche à la recherche d’une caresse (…)), son homosexualité latente (rumeur jamais confirmée, l’intrigue ajoutait à son aura, mais le scandale aurait été de mauvais goût), son esprit et son oisivité (Robert est comte, rentier et, malgré un talent limité, publie une vingtaine de poésies, d’essais et deux romans). Nous pourrions vous décrire le personnage de long en large pour vous donner une idée de ce qu’est le dandy, de ce que représente le décadent ultime, mais nous préférons vous montrer cette photo:
200px-Robert_de_Montesquiou
À la vue de ce portrait de Robert de Montesquiou avec un chat persan, nonchalamment accoudé à un éléphant, vous comprendrez que toute forme d’explication additionnelle devient désuète.

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