Les Faux monnayeurs : Analyse du titre - Français

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mercredi 1 janvier 2020

Les Faux monnayeurs : Analyse du titre



I. Les faux monnayeurs au sens propre.


1. Une affaire de fausse monnaie.


«Les faux monnayeurs» est un titre inspiré d’un fait divers, publié dans un article de presse en 1919, qui relate une affaire de fausse monnaie dans laquelle sont impliqués des fils de bonne famille. Ainsi, le titre de faux monnayeurs est tout d’abord annonciateur d’une des intrigue du roman, à savoir une affaire de fausse monnaie. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que tout le roman tourne autours de cette seule intrigue, celle-ci se révèle en réalité secondaire. Ainsi quand au chapitre 2 de la partie I, Albéric Profitendieu parle avec son collègue Oscar Molinier d’une affaire délicate dans laquelle sont impliqués des fils de bonne famille, le lecteur pense immédiatement qu’il s’agit de l’affaire de fausse monnaie. Cependant, la suite du récit développe pas immédiatement cet aspect de l’intrigue, piquant ainsi la curiosité du lecteur et maintenant le suspens. On apprend néanmoins plus tard que l’affaire délicate ne concernait non pas l’écoulement d’une fausse pièce de monnaie mais les visites récurrentes de mineurs bourgeois chez des prostitués.
Dés l’ouverture de son roman, Gide met son lecteur sur une fausse piste. En effet, au sens propre, la pièce de fausse monnaie n’est introduite que dans le chapitre 3 de la partie II, qui se déroule à Saas-Fée. Bernard Profitendieu qui accompagne Edouard dans son voyage, lui présente une pièce de fausse monnaie qu’un commerçant lui a donné, pensant que cela l’intéresserait puisqu’il est en pleine conceptualisation de son roman qu’il souhaite intituler «Les faux monnayeurs». Cependant, ce n’est que dans la troisième partie qu’il est réellement question de l’affaire de fausse monnaie. Un jeune homme du nom de Strouvillou est en possession de 52 boites de 20 pièces chacune, toute fausses. Il charge son jeune cousin Léon Ghéridamisol de les écouler auprès de fils de bonnes familles dont Georges Molinier. Pour cela, il manipule les enfants en piquant au vif leur orgueil et en exploitant leur mal-être intérieur pour les inciter à trouver un secret de famille et à leur livrer, de manière à avoir un moyen de pression sur les parents au cas où le trafic de fausse monnaie serait dévoilé au grand jour. Albéric Profitendieu découvre l’affaire dans lequel Georges, le neveu d’Edouard est impliqué. Il confie donc à celui-ci la tâche d’aller parler à son jeune neveu pour tenter de le raisonner . Edouard avertit ainsi George que le trafic de fausse monnaie a été découvert par Profitendieu et qu’il risque de sérieuses représailles si il ne le cesse pas. Georges prévient ainsi ses camarades et l’affaire de fausse monnaie s’éteint avant d’être éventée. Cette affaire de fausse monnaie dénonce la tricherie la malhonnêteté et le mensonge qui corrompt tout les hommes, même les plus jeunes, dressant un portrait assez péjoratif d’ une société où même la justice est corrompue. Ainsi, même si cette affaire s’avère être une intrigue secondaire dans le roman, elle a une portée symbolique très importante.



2. Les Faux-Monnayeurs, le titre du roman d’Édouard.

On apprend dés le chapitre 2 de la partie I qu’Édouard est un écrivain qui écrit «des sortes de roman». Comme Gide, il a pour ambition d’écrire un roman novateur et unique qui marque une rupture avec le réalisme prédominant jusqu’alors. Dans la partie II qui se déroule à Saas-Fée, Edouard et Bernard conversent de littérature avec Laura et Mme Sophroniska, une psychanalyste qui lit ses romans. Bernard évoque alors le titre du roman que souhaite écrire Edouard à savoir «les faux monnayeurs». Edouard dit ne pas être certain du titre qu’il craint être un peu trompeur. Il est ici fait un parallèle avec le roman de Gide où l’intrigue de fausse monnaie s’avère être au second plan contrairement à ce que pouvait laisser entendre le titre. Le narrateur intervient alors pour annoncer que par le terme faux monnayeurs, Edouard pensait d’abord au personnage de Passavant, confrère écrivain qui s’avère être l’opposé d’Edouard autant dans sa personnalité de la manière dont il aborde la littérature. Il lui reproche notamment de ne pas avoir de convictions profondes et de se plier aux convenances des lecteurs et de l’époque rendant ainsi son œuvre fausse et éphémère. Comme Gide, Edouard s’inspire de faits et personnes réels pour l’écriture de son roman. Ainsi, l’affaire de fausse monnaie dont il est question dans le roman et le personnage de Georges sont deux sources d’inspiration pour le roman d’Edouard. Il est un élément d’interprétation de celui de Gide.


II. La portée symbolique du titre.

1. La multiplication de personnages trompeurs.

Le terme de faux monnayeurs révèle également un autre aspect du roman de Gide, à savoir une certaine réflexion sur la tromperie, le mensonge et la malhonnêteté. Une phrase de Strouvillou reflète la conception selon laquelle la vérité est tellement rare dans le monde qu’elle devient illusoire «Dans un monde ou tout le monde triche, c’est l’homme vrai qui fait figure de charlatant». En effet, peu de personnages sont sincères dans le roman de Gide, beaucoup jouent la comédie et trompent autrui:
Lilian fait semblant de s’intéresser aux malheurs de Vincent parce-qu’elle cherche juste à se rapprocher de lui; Passavant devient ami avec Vincent uniquement pour approcher Olivier qui l’attire sexuellement et cherche à séduire Sarah lors du banquet des argonautes pour faire taire les rumeurs sur son homosexualité; Oscar Molinier trompe sa femme qui elle-même est au courant mais feint de ne rien savoir; Strouvillou et Ghéri manipule et corrompent des enfants de bonne famille pour écouler leur pièces de fausse monnaie; George fait semblant de se prendre d’amitié pour Boris pour lui jouer une farce qui causera finalement sa mort.

2. L’omniprésence de l’hypocrisie dans les institutions.

Si il y a bien entendu de la tromperie et du mensonge entre les différents personnages du roman, ce sont les institutions mêmes qui incarnent la corruption et l’hypocrisie.
L’hypocrisie de l’institution religieuse est tout d’abord incarnée par la famille Vedel qui tient une pension. Le grand-père Azais semble vivre dans une utopie religieuse qui le rend aveugle à la réalité du monde. Alors qu’il désire transmettre la morale religieuse, il est dit au chapitre 12 de la partie I qu’il impose l’hypocrisie, si bien que tout les gens qui l’entoure le trompent. Il se méprend notamment sur le personnage de Georges qu’il croit innocent et saint à tord, prenant sa ligue de fausse monnaie pour une association vertueuse. Madame Vedel se complaît dans la religion qui est pour elle un substitut de la réalité. Cela l’empêche de vivre réellement et d’assumer ses responsabilité si bien que c’est sa fille Rachel qui s’occupe seule de la pension à sa place.
Monsieur Vedel enfin, est un pasteur censé être un modèle de morale et de vertu. Seulement, bien qu’il cite constamment l’évangile, il ment ouvertement. Lors du mariage de Laura, Armand montre à Edouard le journal de son père où il est écrit qu’il ne parvient pas à cesser de fumer alors qu’il a affirmé le contraire à Edouard, cette contradiction souligne bien son hypocrisie. Sarah pense même qu’il dissimule un secret encore plus grand, sous-entendant une liaison adultère.
Cette hypocrisie a des conséquences négatives sur tout les enfants Vedel: Laura se marie sans amour et n’ose pas avouer sa grossesse hors mariage, Alexandre quitte le foyer familial pour les colonies; Armand est très malheureux et méprise l’éducation puritaine qu’il a reçu; Rachel sacrifie sa dote pour sa sœur et devient aveugle à force de travailler seule pour tenir la pension; Sarah mène une vie de débauche et quitte le foyer familial pour vivre une liaison homosexuelle avec une amie anglaise.
L’hypocrisie de l’institution judiciaire est incarnée par le juge Albéric Profitendieu qui bien qu’au courant de l’affaire de fausse monnaie et de l’affaire de mœurs décide de fermer les yeux sur les coupables, souvent des fils de bonne famille pour éviter le scandale aux parents.
L’hypocrisie de l’institution familiale est également omniprésente dans le roman et ce dans presque toute les familles. Dans la famille Vedel, tout le monde se trompe et se ment, vit dans l’illusion, dans la famille Profitendieu, personne n’a jamais avoué sa bâtardise à Bernard et les parents n’annoncent pas aux autres enfants les véritables raisons du départ de Bernard dans le chapitre I, inventant à la place une histoire invraisemblable selon laquelle un oncle de Bernard qui leur avait confié il y a des années serait venu le récupérer. Dans la famille Molinier également puisque le père entretient une liaison adultère, que sa femme est au courant mais fait mine de ne rien savoir; que Vincent entretient une relation avec Laura qu’il met enceinte, abandonne puis entame une relation avec Lilian Grifith qu’il finit par tuer, Georges se laisse corrompre par Ghéri et Strouvillou, et sombre dans la tromperie et le mensonge. La famille qui est censé incarnée l’amour, la confiance, le respect et l’éducation s’avère être corrompue et source de souffrance.

3. L’incapacité d’exprimer des sentiments sincères.

Même si certains personnages du roman ne sont pas trompeurs ou hypocrites à proprement parler, ils ne parviennent pas à être réellement honnêtes et à exprimer des sentiments sincères. On trouve un exemple de ce cas dés le chapitre 1 de la partie I lorsqu’on découvre le personnage d’Olivier qui entretient un lien d’amitié profond avec Bernard et qui pourtant ne parvint pas à se livrer à celui-ci restant même distant. De même lors des retrouvailles d’Olivier et Edouard dans le chapitre 9, alors qu’il est dit explicitement que tout deux ont une joie extrême à se retrouver, aucun ne le fait savoir à l’autre, si bien qu’ils croient chacun importuner l’autre et qu’ils se retrouvent à interpréter d’une manière éronnée le comportement de l’autre. Ils ont une difficulté apparente à communiquer et à se comprendre. Dans la partie II, lors-qu’Olivier écrit une lettre à Bernard, il ne fait aucune mention d’Édouard alors que sa séparation avec celui-ci l’obsède.
On peut également citer le personnage d’Armand, qui apparaît incapable d’exprimer des sentiments sincères. Dans la partie III, Armand dit à Olivier que sa sœur Rachel est la seule personne au monde qu’il aime et respecte, pourtant il dit aussi passer son temps à essayer de heurter sa vertu et de l’offenser. Cette incapacité à exprimer clairement ces sentiments génères de nombreux quiproquos et révèle la souffrance profonde de nombreux personnages.

4. L’échec des purs.

Les rares personnages qui incarnent l’innocence, la dévotion et la pureté connaissent tous une fin tragique. Bronja, une innocente jeune fille de 15 ans qui se prend d’amitié pour Boris tombe malade et finit par mourir dans l’épuisement et la douleur. Boris, un jeune garçon solitaire et sensible se fait manipuler par des camarades de la pension qui font semblant de se lier d’amitié avec lui et finit par être le jouet d’une cruelle farce qui conduit à son suicide. ( on ignore si il se doutait que le pistolet était réellement chargé).
Rachel, une des enfants Vedel a sacrifié sa dote pour le mariage de sa sœur Laura et a passé toute sa vie, seule et malheureuse à tenir seule la pension de des parents jusqu’à devenir aveugle.

CONCLUSION.

Le titre a plusieurs significations. Il est tout d’abord une référence directe a une des intrigues du roman, le trafic de fausse monnaie et se révèle également être le titre du roman D’Édouard. Symboliquement, le terme de faux monnayeurs et lourd de sens et annonce déjà les principaux thèmes du roman, à savoir une réflexion sur la sincérité et le mensonge. Il révèle la vision très pessimiste de Gide sur le monde puisque les piliers de la sociétés, les institutions religieuses, familiale et judiciaires sont gangrenées par le mensonge et l’hypocrisie causant la souffrance de la majorité des personnages. Tout les êtres, même les plus jeunes sont corrompus. Un seul personnage s’en sort véritablement, Bernard qui fait toujours preuve de franchise et qui revient volontairement auprès de sa famille.

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